lundi 15 avril 2024

Elle

 (…) O fleur sauvage, jeune fille,
Pain du coeur, grâce céréale
Des blés aux yeux bleuets,
Et des prés au front camomille,
J'invente pour toi des noms-épithètes :
" Jambes-herbes, fleurs-fêtes,
Rire-coquelicot."

Marie Gevers - L'enfant d'avril
 

 

Elle. Une étoile qui danse. L'enfant qui la regarde. L'enfant est une petite fille. Solitaire et triste. On lui a
désappris la joie. On ne lui a pas appris à grandir. On lui a appris à rêver, ça oui. L'étoile a aimé la petite
fille. Elle lui a appris à danser. Elle lui a appris le ciel. Mais la petite fille est un grain de sable pour
l'étoile.

Elle est partie. Loin. L'enfant ne l'a plus vue. Ou c'est elle. De toutes façons, l'enfant n'était pas prête. Et
maintenant qu'elle l'est, il est trop tard. Le temps s'égare. Elle sait qu'il va la rattraper. Un jour. Si c'est
n'est pas déjà fait. C'est inéluctable. L'enfant hait l'inéluctable. Elle hait le destin, le certain, le contraint,
la fin, les lendemains qui pleurent ou qui se taisent...
 

Elle est là tout près et l'enfant ne sait qu'en faire, de sa présence. Elle est là, ou c'est l'enfant. Sa soeur,
son miroir. Sa semblable. Son contraire. Ivresse de l'ombre qui se noie. Tempête dans un verre d'eau.
 

L'enfant reste dans l'ombre. L'ombre est confortable.
 

L'enfant ne deviendra pas femme ou alors seulement pour elle-même. Elle deviendra mère de deux fils
qui lui ressemblent et qui grandiront. L'amour, le vrai, c'est celui-là. Celui qui donne du sens et de la
force. L'amour qui rayonne, l'amour tendresse. L'amour dont on parle souvent, elle y a cru, parce qu'on lui a fait croire. Mais elle a cessé d'y croire il y a longtemps. Pas faute pourtant d'avoir essayé. Mais à l'étoile, elle croit encore. Elle la cherche parfois
quand l'ombre s'étend.
 

La plume court. Je ne dors pas. Une lune ovale trace les contours de la fenêtre. Dans ma tête, il y a le
coq et l'âne, pour sauter de l'un à l'autre. Et les moutons à compter. Mais ça ne marche pas. Il y a ma
chatte ronfle. Il y a le temps qui passe et le matin qui n'est plus très loin. Et le sommeil qui vient, enfin.
Pour quelques heures.
 

La nuit s'est effacée. Le printemps est là, insolent, qui me nargue. Il bourdonne, éclate, jubile et coasse
quand tout est silencieux. Quelques hirondelles sont venues en éclaireuses. Elles sont discrètes. La
tiédeur s'efface sous le froid de la nuit. La terre est sèche. Seul le givre du matin fondu en rosée
l'abreuve encore. Le bleu du ciel est laiteux, timide. Les grenouilles n'ont pas dormi. Ou alors à tour de
rôle. Les poules s'agitent dans leur cabane alors que je traine au lit. Loulou, le coq, chante par intervalle.
 

Il va falloir fermer pour quelques heures la porte du rêve.

 

Saint-Pierre de Maillé - avril 2023

Ma mère

 

C’est elle ou moi. Ça ne peut pas être elle et moi. Jamais. Il faut qu’elle se mette en travers, qu’elle jauge, qu’elle juge, qu’elle protège son territoire. Je suis menaçante. Je suis une partie d’elle qui ne peut pas faire sécession. Jamais. Pourtant, j’ai essayé et j’essaie encore. Elle ne rattrape toujours. Jamais ce n’est « Tu as osé ma fille, c’est bien, je suis fière de toi. » Non. Elle se sent poursuivie, persécutée par les choix, par mes engagements. Là où elle n’a pas réussi, je ne peux pas réussir. J’ose toujours à cloche-pied et j’essaie le silence. Mais elle me débusque, s’offusque, exige des nouvelles, c’est-à-dire des rapports réguliers sur ma vie, sur moi et sur  mes proches. Je n’ai pas le droit de me taire. Je voudrais apprendre à courir très vite mais elle sera toujours devant moi.

(texte d'atelier - mars 2016)

Contrainte du prisonnier

 

Mornes noces,

envies aux morsures vivaces,

ce vase cassé,

ces cris,

ma mère,

une vie,

une âme miroir murmurée,

au soir, avancée vers moi,

caressée, murée

Mes mains ou vous, à moi,

accourue en ma maison,

une évasion,

une vie ici

ou rien...

 

(texte d'atelier -  mars 2016)

Nouvelle 1

 

Il calculait, il calculait, il ne faisait que ça, tout le temps, partout. C’était vraiment maladif. Elle le regardait faire, dire, penser, tantôt avec compassion, tantôt avec agacement. Quand elle était agacée, sa compassion virait rapidement à la pitié ou au mépris. On avait du mal à comprendre ce qu’ils faisaient ensemble ces deux-là. De quel étrange hasard était née leur improbable rencontre. Et, surtout, comment ils arrivaient à partager le même espace. 

Elle traversait la vie de son pas élastique sans trop se préoccuper de ce qui pouvait se trouver sur son chemin. Quand ils s’insupportaient au-delà de ce qui était tolérable, il partait s’enfermer dans son atelier et ne parlait plus tandis qu’elle lançait « je pars faire un tour » et revenait plusieurs jours après. Elle était alors de joyeuse humeur. Ils reprenaient leur vie là où ils l’avaient laissée. Personne ne posait de question. 

Un jour, elle ne revint pas. Ou alors n’était-elle jamais partie. L'homme ne retournait plus dans son atelier. Il passait ses journées devant la télévision et ne mesurait plus rien, pas même sa consommation d’alcool. On ne sait pas s’il cherchait à s’abrutir ou à masquer le silence de sa solitude. Ce sont les voisins qui ont appelé la police. L’odeur avait traversé les murs. 

 (texte d'atelier - mars 2016)